Fiscalité. Le défi de la collecte de l’impôt sur les revenus des non professionnels
Tout camerounais, même non salarié est désormais appelé à déclarer ses revenus. Mais cette mesure rencontre l’incompréhension des contribuables dans un contexte de vie chère.
Le gouvernement renvoie à plus tard le paiement de l’Impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) pour les contribuables non professionnels au Cameroun. Le délai de déclaration a été prorogé de 2 mois. D’abord fixée pour le 30 juin 2024 au plus tard, l’échéance a finalement été reportée au 1er septembre 2024 par un communiqué du ministre de Finances du 20 juin dernier.
Ce report s’explique, en effet, par le fait que cette disposition est nouvelle pour les contribuables. En réalité, seule la catégorie traitements et salaires était jusqu’ici assujettie au paiement de l’IRRP. Un impôt payé par les entreprises sur les salaires. Mais, le gouvernement a décidé en mars 2024 de l’étendre à la catégorie des non professionnels. Il s’agit ici pour chaque camerounais qui dispose des revenus au Cameroun ou ailleurs de reverser la quote-part de l’Etat. Le code général des impôts détaille en indiquant que cela concerne ceux qui « bénéficient des revenus des traitements, salaires, pensions, rentes viagères, et/ou des revenus des capitaux mobiliers et des revenus fonciers, et d’une manière générale de tout revenu passif ». Soit en d’autres termes, « les retraités qui reçoivent les pensions ;ceux qui ont des maisons à louer. Ceux qui ont une quelconque activité. Bref tout le monde qui a des revenus est concerné », explique le fiscaliste Pierre Alaka Alaka. Cette réforme avait en effet été adoptée dans la loi de finances de 2021 mais n’a jamais été appliquée.
L’administration fiscale justifie ce retour en arrière par le fait que, « très peu de contribuables ont déclaré au terme d’un exercice des revenus consolidés. En réalité, hormis les salaires retenus à la source, les autres catégories de revenus restaient mal appréhendées », souligne la Direction générale des Impôts. C’est donc une mesure d’élargissement de l’assiette fiscale. Surtout que les objectifs de collecte fiscale assignés à la DGI sont de l’ordre de 3 100 milliards de FCFA pour 2024. Mais, la disposition passe comme une pilule difficile à avaler pour ces contribuables qui sont pris de coup par cette nouvelle disposition encore ignorée par plusieurs. Car l’IRRP reste perçu comme un impôt sur les salaires. Pourtant, la nouvelle réglementation appelle tous les citoyens à payer l’impôt sur leurs revenus. Cela est qualifié d’imposition de plus dans un contexte de vie chère avec une augmentation de nouvelles charges dans la loi de finances de cette année.
Pour favoriser la compréhension de cette nouvelle disposition fiscale, le gouvernement a lancé dès mars dernier, une caravane de sensibilisation à ce sujet. Cette démarche a notamment permis d’expliquer le bien fondé,
les modalités de mise en œuvre ainsi que l’utilisation de la plateforme digitale de la Direction Générale des Impôts où doit se faire la déclaration.
réactions
Mazou MOULIOM, Président de l’Association Camerounaise pour la Défense des Droits des Contribuables
« La sensibilisation est insuffisante »
« La décision du gouvernement de réactiver la déclaration des revenus annuels des particuliers est normale et juste, si ça peut permettre de recouvrer le juste impôt. C’est la méthode et le contexte qui nous posent problème. Car nous observons une augmentation des impôts et autres taxes d’une manière accélérée alors que le dispositif d’implémentation n’est pas adéquat et présente beaucoup de failles. Aussi nous ne voyons aucune mobilisation pour le cas des hautes personnalités. Voilà que nous sommes en pleine session parlementaire, on devait présenter au public les députés en train de le faire, nous présenter leurs Attestations de Conformité Fiscale après l’opération afin de sensibiliser le public. D’abord la sensibilisation a été pratiquement insuffisante, quelques émissions télévisées à la chaîne nationale, des réunions de sensibilisation dans les chefs-lieux de département rassemblant les autorités administratives et des séminaires de formation aux praticiens de la fiscalité. Aucune communication de proximité n’a été faite auprès de la masse de contribuables Camerounais cibles. Jusqu’au moment où intervenait la note de prolongation de délai, les gens se demandaient encore de quoi il s’agit.
Pour ce qui est du dispositif digital, il va de soi que le système informatique de la DGI n’est pas encore en mesure de supporter le flux de la transaction. Il est très défaillant. Je rappelle que les délais de dépôt de la DSF ont à chaque fois été prorogés malgré l’espacement prévu par la loi de finances 2024. Aucun délai officiel n’a été respecté. Ce système a trop de manquements qui orchestrent les arnaques des Contribuables par le fisc. Ce que nous devons intégrer c’est que c’est un processus qui prendra du temps car notre environnement socioéconomique est encore très informel et la solution digitale n’est pas du tout satisfaisante. »
Pierre Alaka Alaka, fiscaliste
« Ceux qui ne vont pas déclarer leurs impôts auront beaucoup de difficultés »
« Cette nouvelle disposition est valable pour les camerounais vivants au Cameroun ou à l’extérieur. Ils doivent déclarer leurs revenus. Maintenant ceux qui ne vont pas déclarer auront beaucoup de difficultés. La première est qu’il y a le risque qu’on publie leurs noms dans Cameroon tribune. Vous n’aurez plus accès au certificat de conformité fiscale. Or, si vous n’avez plus accès à ce certificat, vous ne pouvez pas faire une opération bancaire, vous ne pouvez plus quitter l’aéroport Cameroun. Ceux qui vont par exemple être candidats à la députation ou au conseil municipal, auront besoin d’un certificat de conformité fiscale. Et bien entendu vous avez d’autres conséquences qui peuvent vous attendre. Parce que si on se rend compte que vous avez des revenus divers, on peut vous appliquer des pénalités de retard dont les montants peuvent être importants. C’est une mesure qui concerne tous les camerounais. Les retraités, ceux qui ont des revenus locatifs et même les membres du gouvernement. Même pour le salarié d’une entreprise, il doit toujours faire sa déclaration. Par ce qu’on n’est pas sûr que l’entreprise a déclaré ses impôts à la source. Il doit faire sa déclaration pour dire voilà ce que mon employeur a retenu au titre de mes traitements et salaires. En conséquence, je suis quitte avec vous. Maintenant, si l’employeur n’a pas déclaré ce ne sera plus son problème. Cette réforme a un double objectif. Le premier, c’est de savoir si les impôts retenus à la source sont reversés dans la caisse de l’État. Le deuxième est que tout le monde doit se sentir citoyen et être fier de contribuer au développement de son pays. Et désormais chacun pourra demander au gouvernement ce qu’il fait des impôts qu’il paie. Car jusqu’ici ce n’était pas clair. Ce sont les entreprises qui payaient. Maintenant, chaque citoyen peut demander des comptes au gouvernement. »